REMISE EN QUESTION DE LA REMUNERATION LIEE AUX PERFORMANCES
Quelle est l’utilité de la rémunération liée aux performances ? Et comment la mettre en œuvre de manière efficace ? Ces questions préoccupent les employeurs depuis des décennies. The VIGOR Unit, une spin-off de l’université de Gand, a étudié les avantages et les inconvénients à la demande d’organisations qui cherchent les meilleures stratégies de rémunération pour leurs collaborateurs.
Cedric Velghe, travaillant au sein de The VIGOR Unit, a un avis nuancé sur la question, mais s’interroge tout de même sérieusement sur l’utilité d’une rémunération poussée liée aux performances. « Tous ceux qui ont un chien ou un enfant savent qu’une friandise ou un euro sont une source de motivation pour effectuer des tâches », dit-il en riant. « Mais il y a toujours des effets indésirables. Les gens font rapidement preuve d’ingéniosité pour optimiser leur prime, souvent au détriment de la collégialité. »
De récentes recherches ont montré que la différence de performances entre collègues est souvent très faible. Et puis, le jeu n’en vaut souvent pas la chandelle.
Velghe : « Pendant longtemps, l’on pensait que les collaborateurs étaient répartis en trois groupes : les plus performants et les peu performants, ainsi qu’un groupe intermédiaire dont les performances varient fortement au niveau de la moyenne. Mais ce n’est pas vrai. Des chercheurs américains ont constaté que, dans de nombreux domaines, 80 % des collaborateurs enregistraient des performances inférieures à la moyenne et 20 % enregistraient des performances nettement supérieures à la moyenne – parfois même dix fois supérieures à la moyenne. De grandes différences sont également visibles au sein de ce groupe de collaborateurs très performants. Il se peut par exemple que le « meilleur » collaborateur enregistre des performances deux fois supérieures à celles du deuxième meilleur. Mais au sein du grand groupe (qui représente 80 % des collaborateurs), les différences de performances sont relativement faibles. Si la stratégie de la rémunération liée aux performances est appliquée pour ce groupe, trop de différences seront faites entre les pairs. En effet, quelles que soient les différences, les collaborateurs contribuent tous, à leur manière, aux performances de l’entreprise. Une rémunération poussée liée aux performances est source d’insatisfaction : d’une part au sein du grand groupe, car les différences mesurées ne semblent pas justifiées, et d’autre part, au sein des collaborateurs très performants, car ils ont l’impression que leurs performances sont trop peu reconnues et que leur rémunération supplémentaire n’est pas proportionnelle à leurs performances réelles. »
Faut-il par conséquent revoir la rémunération liée aux performances ?
Velghe : « Je n’irais pas jusque-là. Pour les plus performants, l’on peut mesurer les performances individuelles et attribuer les récompenses sur cette base. Toutefois, pour le grand groupe de collaborateurs, il est plus judicieux de ne pas employer cette méthode. Il vaut mieux partir du principe que tous les collaborateurs effectuent leur travail correctement et les récompenser tous de la même manière, avec une évolution salariale prévisible, par le biais de barèmes, par exemple. Mais, en tant qu’employeur, vous pouvez également vous engager à revoir chaque année la conformité du salaire au marché et le faire évoluer grâce à ce contrôle annuel. »
Si vous supprimez la rémunération liée aux performances pour un grand groupe, à quoi servent les évaluations ?
Velghe : « Leur objectif reste le même. Il n’est pas utile d’évaluer intensivement tous les collaborateurs, et ce, pour plusieurs raisons. D’une part, il n’existe pratiquement aucune différence notable et d’autre part, il s’avère très difficile de mesurer objectivement les performances. Les recherches montrent, par exemple, que les supérieurs hiérarchiques donnent de meilleures évaluations aux collaborateurs qu’ils ont eux-mêmes recrutés ou auxquels ils s’identifient. Si le collaborateur et le supérieur hiérarchique sont du même sexe, l’évaluation est également meilleure. De plus, le travail intellectuel est difficilement quantifiable. Qu’est-ce qu’une performance individuelle et quelles sont les performances de l’équipe ? Dans quelle mesure les résultats sont-ils déterminés par un contexte externe sur lequel le collaborateur n’a aucun contrôle ? Et quels sont les facteurs que vous considérez comme importants ? La ponctualité ? La prise de risques ? La créativité ? Cela dépend en grande partie des objectifs de l’entreprise. Ils diffèrent pour une entreprise qui souhaite offrir les prix les plus bas et une entreprise pionnière qui s’axe sur l’innovation. En bref, il est difficile d’interpréter les performances de manière objective. »
Faut-il donc également supprimer les évaluations ?
Velghe : « C’est également une décision trop hâtive. Je me concentrerais principalement sur les collaborateurs les plus performants. Les supérieurs hiérarchiques devraient désigner leurs collaborateurs « les plus performants » à l’aide d’un dossier bien étayé qui serait ensuite évalué par un panel d’experts. Les collaborateurs identifiés comme étant effectivement « les plus performants » peuvent alors être récompensés individuellement. L’on peut également organiser des entretiens d’évaluation avec les collaborateurs qui enregistrent des performances moindres, au bas de l’échelle. Mais, pour le grand groupe de collaborateurs, une évaluation n’a que peu de sens. Votre temps précieux est mieux investi dans les mesures qui font la différence tant en bas qu’en haut de l’échelle. »
Never Work Alone 2022 | Auteur: Jan Deceunynck | Image: XXX