POUR RÉUNIR TOUTES LES VOIX AUTOUR DE LA TABLE, IL FAUT RALENTIR

Emmanuelle Verhagen, consultante en durabilité et inclusion, a mis l’accent sur l’inclusion au sein de la CSC’ACV au cours de la période écoulée. « L’inclusion est essentielle pour un syndicat. En tant que représentant du personnel, il est important de réunir toutes les voix autour de la table », explique Emmanuelle.  

Au fil des ans, Emmanuelle a acquis beaucoup d’expérience, passant de spécialiste en marketing à consultante en durabilité. Le déclic a eu lieu en 2004. « Le jour de la Saint Valentin pour être exacte », explique Emmanuelle en riant. « À l’époque, en tant que spécialiste en marketing pour Nokia à Bombay, j’avais mené des recherches sur le bas de la pyramide, à savoir les personnes les plus pauvres du monde, qui doivent vivre avec moins de 1,5 dollar par jour. Le directeur de Nokia ne voulait pas croire que ces personnes pouvaient être heureuses malgré leur pauvreté. J’ai été fortement choquée par la façon dont il réduisait les consommateurs à leur argent. Cela m’a véritablement ouvert les yeux et a lancé ma nouvelle carrière en faveur de la diversité et de l’inclusion. » 

Ces termes sont souvent associés. Mais signifient-ils la même chose ? 

Verhagen : « Non. La diversité est une réalité, une question de statistiques. À ce sujet, nous avons dépassé le stade de la discussion à l’heure actuelle. L’inclusion repose sur le dialogue et la conversation. L’origine du mot « conversation » est très ancienne et fait référence à la rencontre des esprits. Telle est l’essence de l’inclusion : s’écouter mutuellement et apprendre ce dont l’autre a besoin. Cet art s’est presque perdu, y compris dans le monde des affaires. De ce fait, les ressources humaines s’axent principalement sur les ressources plutôt que sur l’humain. »  

 Quel rôle votre parcours joue-t-il dans ce cadre ? 

Verhagen : « Il joue évidemment un rôle de premier plan. Mon parcours personnel unique détermine mon identité et ma vision de la vie. J’étais un homme qui réussissait bien dans la vie. Il y a dix ans, j’ai entamé ma transition. Je ne me considère toujours pas comme une femme, mais pas non plus comme un homme. Ces cases n’ont pas de sens. Il y a tout un monde entre ‘homme’ et ‘femme’. Ma transition m’a fait prendre conscience des privilèges dont je profitais auparavant en tant qu’homme blanc hétérosexuel. Ce n’est qu’une fois qu’on ne les a plus qu’on les remarque. Pour être claire, j’ai encore de nombreux privilèges. Je suis toujours blanche, j’ai fait des études universitaires, j’ai un bon salaire et un toit au-dessus de la tête… Ma transition m’a ouvert à des mondes qui m’étaient inconnus, qui profitaient de moins de privilèges, tels que la communauté queer, les réfugiés et les personnes vivant dans la pauvreté. C’est ainsi que je me suis ‘reconstruite’, j’ai reconstruit mon identité. »  

Désormais, vous conseillez les entreprises et organisations sur la manière d’agir avec les personnes de l’ensemble du spectre humain. Quelles sont les astuces ? 

Verhagen : « L’inclusion repose sur l’écoute des besoins de sécurité des gens, dans toute leur diversité. Cela semble simple, mais ça ne l’est pas. Car le premier réflexe d’une personne qui ne se sent pas en sécurité est de se taire. Elle ne se fera pas entendre, elle ne participera pas à la discussion. Il est tentant d’accorder toute son attention à la voix la plus forte, mais elle n’a pas toujours raison. D’autres opinions comptent. Les syndicats doivent également être conscients des voix non entendues ou qui ne se joignent pas à la discussion. En tant que représentant du personnel, il faut écouter toutes les voix, les réunir toutes autour de la table. Cela permet de prendre de meilleures décisions et d’améliorer le lieu de travail. Les syndicats profitent également d’une position unique : ils peuvent exprimer toutes les opinions sans crainte. C’est pourquoi ils bénéficient d’une protection légale contre les sanctions. »  

 La question est de savoir comment s’y prendre. Comment faire entendre les voix qui restent silencieuses ? 

Verhagen : « Il s’agit d’un processus très intensif. La clé est de se poser la question : ‘Quelle voix n’ai-je pas encore entendue ?’. L’inclusion implique le renforcement de la résilience. Les gens doivent se sentir en sécurité pour participer. Ce n’est qu’alors que les opinions qui n’ont pas encore été entendues s’exprimeront. Cela implique qu’il faut ralentir : quand on se précipite, on ne se rend pas compte de nos préjugés. Pour fonctionner de manière optimale, le cerveau consomme beaucoup d’énergie, environ 20 à 25 % de l’énergie totale du corps. La rapidité demande également de l’énergie, mais alors le cerveau se rabat sur ses automatismes. Il cesse de réfléchir et se fie à ce qu’il connaît déjà, et donc aux préjugés. Traiter de nouvelles informations que l’on ne connaît pas demande donc de ralentir. C’est comparable à la conduite d’une voiture : au début, c’est difficile, on avance lentement car le cerveau doit tout apprendre. Mais au fur et mesure, des automatismes s’installent. Et si l’on vous demande comment conduire une voiture exactement, c’est très difficile à expliquer. »  

Il n’est pas toujours facile de ralentir. Car le temps est de plus en plus un luxe. 

Verhagen : « En effet. Notre temps est de plus en plus chargé. Cela a commencé vers 1355, si je ne me trompe, lors de la construction du premier clocher. Les ‘employeurs’ de l’époque pensaient que c’était une idée judicieuse car tout le monde connaissaint désormais l’heure de début et de fin de la journée de travail. C’était une nouveauté. Auparavant, le temps était malléable. À partir de ce moment-là, le temps a été soumis à une pression de plus en plus forte. Tout doit aller toujours plus vite. Du moins selon notre réflexion occidentale. Dans d’autres cultures, le temps est géré très différemment et il est beaucoup moins structuré selon les activités des gens. » 

Désormais, l’inclusion est un thème bien connu. Êtes-vous optimiste ? 

Verhagen : « La jeune génération me donne de l’espoir. Je constate chez elle un grand désir d’explorer, d’emprunter de nouvelles voies. Elle commet aussi des erreurs, bien entendu, mais elle remarque déjà la nécessité de s’améliorer. Ce qui est essentiel étant donné que nous basculons de crise en crise. Nous devons constamment nous adapter aux changements. Et cela ne s’arrêtera jamais. C’est pourquoi nous devons, plus que jamais, suivre l’évolution de près, ce qui n’est possible qu’en réunissant toutes les voix autour de la table. » 

Never Work Alone 2023 | Auteur: Sandra Vercammen / Jan Deceunynck | Foto: Frank Temmerman