Les employeurs ne semblent pas fervents de concertation sociale

« Le syndicat c’est important, mais pas dans mon entreprise »

Dans la société, les syndicats sont utiles et pertinents, selon les employeurs. Mais dans leur propre entreprise, ils représentent surtout un facteur gênant et perturbateur. C’est ce qui ressort de l’enquête menée par Lieselot Rosselle, étudiante à l’université de Gand, en collaboration avec le professeur Stan De Spiegelaere et la revue spécialisée HR Square, dans le cadre de son mémoire de master.

L’enquête menée auprès de 260 employeurs, managers et supérieurs hiérarchiques fournit un aperçu intéressant de la façon dont la concertation sociale est perçue. « En réalité, on sait très peu de choses à ce sujet », explique Rosselle. « Dans notre pays, la concertation sociale est ancrée dans la législation et les traditions depuis des décennies. Les travailleurs sont désignés de manière légitimes lors des élections quadriennales pour représenter les intérêts de leurs collègues auprès de leur employeur en matière de salaire et de conditions de vie au travail. Mais la manière dont les employeurs, managers et supérieurs hiérarchiques perçoivent cette concertation sociale était un aspect inconnu. Cette enquête change la donne. »

Quelles sont les principales conclusions ?

Rosselle : « Tout d’abord, une grande majorité des répondants estiment que les employeurs et les travailleurs en général ont des intérêts tant analogues qu’opposés au sein de la société au sens large. Toutefois, très peu d’employeurs sont de cet avis lorsqu’il s’agit de leur propre organisation. Plus de la moitié des répondants ont indiqué qu’ils partageaient essentiellement les mêmes intérêts que leurs travailleurs. Une différence remarquable, qui découle également des perceptions différentes de la défense des intérêts de ce groupe. Le groupe le plus important de responsables affirme que les syndicats défendent bien les intérêts des travailleurs dans la société au sens large, mais, seuls douze pour cent d’entre eux sont convaincus que cela est le cas dans leur entreprise. La grande majorité d’entre eux déclarent que, dans leur entreprise, la direction représente suffisamment les intérêts des travailleurs. »

Comment comprendre cette différence remarquable ?

Rosselle : « Cela peut être lié à la manière dont les employeurs et les managers perçoivent les conflits. Selon l’enquête, les conflits entre employeurs et travailleurs leur semblent parfaitement normaux en dehors de leur propre organisation. Il y a toujours des intérêts contradictoires. Mais, lorsque ces conflits se déroulent au sein de leur propre organisation, il leur est soudainement beaucoup plus difficile de comprendre cette réalité. Ils imputent les divergences d’opinion à des problèmes de communication. Ils supposent que les travailleurs ne comprennent pas assez la nécessité de certaines mesures, comme les restructurations, parce qu’ils ne les ont peut-être pas communiquées assez clairement en tant qu’employeur. Ainsi, lorsque des conflits se déclenchent en interne, ils pensent qu’ils ne sont pas tant dus à des intérêts structurellement différents, mais bien à une compréhension insuffisante de leur nécessité. »

Dans ce contexte, comment considèrent-ils les syndicats ? Ces derniers permettent-ils d’assurer une meilleure compréhension ?

Rosselle : « Non, certainement pas, selon la majorité des managers interrogés. Au contraire : 37 pour cent des répondants considèrent les syndicats comme inutiles et perturbateurs dans leur propre organisation. Par ailleurs, 26 pour cent sont d’avis qu’ils provoquent des conflits qui n’auraient pas surgi en leur absence. En résumé, les responsables flamands pensent que les syndicats sont nécessaires, mais pas dans leur entreprise, que tout se passerait bien en l’absence de syndicat et de concertation sociale. C’est en tout cas l’avis de la majorité des répondants. »

Que devons-nous penser de cela ? Tous ces managers et employeurs sont-ils en réalité des détracteurs des syndicats ?

De Spiegelaere : « Il n’y a malheureusement pas d’explication simple et vérifiable à cet égard. Cela pourrait être dû à un phénomène que les psychologues appellent le ‘biais d’optimisme’. Ce concept implique que l’on perd de vue la réalité objective et que l’on en vient vite à la conclusion que dans sa vie, en l’occurrence sur son lieu de travail, tout se déroule relativement bien et continuera à aller bien. Ce sont les personnes externes qui prennent de mauvaises décisions ou qui portent des jugements erronés. Si c’est votre état d’esprit en tant que manager, vous déduisez rapidement que c’est votre interlocuteur qui a du mal à vous comprendre. Ou, pire encore, vous l’accusez d’incompétence ou d’adopter un comportement délibérément conflictuel. Ce ‘biais’ vous incite, en tant que manager, à penser sincèrement qu’il s’agit là des seules causes possibles du conflit. Il ne vous vient alors pas à l’esprit qu’il pourrait simplement être dû à des intérêts contradictoires ou à de fausses bonnes décisions. »

Les représentants des travailleurs sont-ils également sujets à ce « biais d’optimisme » ?

De Spiegelaere : « C’est possible. Je suis parfois étonné de constater que certains représentants des travailleurs ne parviennent pas à comprendre qu’un manager RH, par exemple, ait réellement les meilleures intentions à l’égard de ses travailleurs. Ils pensent que ce manager veut délibérément les éconduire pour faire prospérer ses activités. D’où l’incompréhension et la frustration. Parfois, ce manager ne comprend pas non plus l’attitude et le point de vue du représentant du personnel. Cette incompréhension mutuelle et ce manque d’empathie ne font malheureusement que se renforcer. »

Comment dénouer cette situation ? Les élections sociales approchent. Nous voulons repartir sur de bonnes bases.

De Spiegelaere : « Ce n’est pas évident. De nombreux managers et représentants du personnel, qui participent d’ailleurs volontairement à la concertation sociale, travaillent sous pression et éprouvent beaucoup de stress. Les managers doivent parfois atteindre des objectifs économiques difficiles. Les représentants des travailleurs subissent la pression de leurs électeurs pour défendre au mieux leurs intérêts. Tous deux subissent parfois une pression passagère en vue d’atteindre des résultats à long terme. Certaines choses sont plus faciles à réaliser (rires). Mais cette situation peut être dénouée. Commençons déjà par approfondir nos connaissances sur ce ‘biais d’optimisme’ et ses conséquences concrètes. Et essayons, au maximum, de respecter le rôle de chacun et de faire preuve de l’empathie nécessaire à cet égard. La véritable écoute porte ses fruits. C’est un fait ! »

Never Work Alone 2024 | Auteur: Vic Van Kerrebroeck | Photo: Daniël Rys