L’EVALUATION DE L’EVALUATION
Diriger des collaborateurs dans un contexte professionnel n’est jamais une tâche facile. Par définition, un dirigeant ne travaille pas tout seul et, dans tous les cas, il doit tenir compte des particularités, des caractères et des compétences de ces collaborateurs, ainsi que des directives et de la culture de l’organisation au sein de laquelle il occupe une fonction dirigeante.
Le leadership a fait l’objet de nombreux ouvrages de la littérature sur les ressources humaines. Et ce à juste titre, car ce sont les dirigeants qui déterminent si un collaborateur reste au sein de l’organisation ou la quitte. Le leadership signifie également évaluer et soutenir les collaborateurs. Et ces dernières années, l’on constate que la gestion des performances traditionnelle avec une évaluation annuelle (avec ou sans notes) est de plus en plus laissée de côté au profit d’un feed-back informel et continu. Never Work Alone s’est demandé comment les dirigeants gèrent la situation en pratique.
Les managers Cis Boeckx et David Demeyer de KBC sont les premiers interviewés. Ils gèrent tous deux des équipes d’une trentaine de personnes : Cis dans la branche des assurances et David dans la branche de l’analyse des données.
Boeckx : « Jusqu’à il y a quelques années, KBC adoptait une méthode assez traditionnelle d’évaluation des collaborateurs : un entretien d’évaluation annuel, accompagné d’évaluations intermédiaires. Entretemps, nous sommes passés à un système de « dialogues de progression continus ». Dans ce cadre, nous nous réunissons au moins deux fois par an, ou plus si possible et nécessaire, de manière informelle avec les collègues pour aborder leur expérience du travail. Le travail leur plaît-il toujours ? Se sentent-ils bien dans leur poste ? Ont-ils besoin d’un soutien ou d’une formation supplémentaire ? Leur perception du travail correspond-elle à la mienne ? KBC prévoit également un outil numérique à cet effet, appelé Francis. »
Demeyer : « Je ne détermine pas un nombre fixe de dialogues de progression avec mon équipe. Chaque membre de l’équipe peut indiquer ses préférences, mais nous visons un dialogue par mois, en moyenne. Le déroulement de ces dialogues dépend aussi entièrement des collaborateurs : certains préfèrent en face à face, d’autres par voie numérique. Ces dialogues peuvent se dérouler dans un environnement de travail traditionnel, mais également lors d’une promenade dans un bois ou un parc, par exemple. Nous adaptons la situation au mieux pour les collaborateurs, car l’objectif est bien sûr d’assurer leur bien-être et des performances optimales. »
Boeckx : « Au début, j’ai dû chercher la meilleure approche, tout comme mes collaborateurs. En particulier ceux qui avaient une grande ancienneté et qui étaient habitués à l’entretien d’évaluation annuel. J’ai rédigé une sorte de guide pour m’aider et aider les collaborateurs. Quel est l’objectif des dialogues ? Comment me préparer au mieux ? »
Et quel est votre ressenti à l’heure actuelle ?
Boeckx : « Très positif en fait. J’ai vraiment l’impression d’améliorer le travail de mes collègues et d’augmenter leur satisfaction au travail grâce à cette approche qui a également un impact positif sur mon travail par rapport à la précédente. »
Demeyer : « En effet. Je n’occupe un poste de dirigeant que depuis trois ans, je ne peux donc pas comparer par rapport à l’approche précédente, mais il est clair pour moi que cette nouvelle approche porte ses fruits. Nous intervienons beaucoup plus rapidement et, plutôt que de s’axer sur les performances passées d’un collaborateur, nous mettons l’accent sur le soutien et les ajustements nécessaires. Ces dialogues ne sont pas redoutés, ils servent à apporter un soutien. L’intervention rapide est également un avantage absolu. En tant que dirigeant, nous pouvons concrétiser cette intervention et donner rapidement du feed-back et du soutien, ce qui n’est pas possible dans le cadre des évaluations annuelles. »
Et qu’en est-il de la rémunération ? Quelle approche adoptez-vous ?
Boeckx : « Au sein de KBC, la rémunération est complètement distincte des dialogues de progression, et c’est très important. La décision concernant l’octroi d’une prime ou d’une augmentation de salaire est prise au sein de l’équipe de direction et, en tant que dirigeant, je peux proposer un collaborateur pour l’octroi de ces bonus. »
Demeyer: « En tant que manager, ce point me met également au défi. Je dois justifier à l’aide d’arguments suffisants les raisons pour lesquelles un collaborateur mérite une prime ou une augmentation de salaire. D’après mon expérience à cet égard, mes collaborateurs ne considèrent pas un bonus salarial comme une motivation ou une incitation à travailler davantage, mais comme un soutien financier bienvenu. C’est-à-dire comme un signe d’appréciation. »
Outre les dirigeants du secteur financier, Never Work Alone a également sondé le dirigeant Jeroen De Middeleer, travaillant au sein de Unit-T.
De Middeleer : « Unit-T est un sous-traitant de Telenet, dont nous faisions partie à l’origine. Désormais, nous effectuons des interventions techniques chez les clients pour Telenet, notamment. En tant que chef d’équipe, je supervise une trentaine de collaborateurs techniques. »
Quel est votre système d’évaluation et quel est votre ressenti par rapport à celui-ci ?
De Middeleer : « Lorsque nous faisions toujours partie de Telenet, nous réalisions une évaluation formelle dont dépendaient les primes et les augmentations de salaire. Après la scission, nous avons abandonné cette méthode et sommes passés à des évaluations « volantes ». Ce système fonctionne bien mieux car il permet d’intervenir rapidement. Évaluer un collaborateur en septembre sur un point sur lequel il a travaillé en janvier a peu de sens. Cela ne motive pas le collaborateur, surtout si l’attribution d’une note ou l’octroi d’une prime en dépend. »
Le salaire est-il désormais complètement distinct des performances du collaborateur ?
De Middeleer : « Pas du tout. Et je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose. Cela peut motiver le collaborateur d’une façon ou d’une autre. Ce n’est pas le facteur le plus motivant, mais quand même. Un collaborateur qui a travaillé dur apprécie de recevoir une récompense. »
Trouvez-vous que la réalisation de ce type d’évaluation continue est simple ?
De Middeleer : « Pour moi, c’est le meilleur système qui soit. Mais je ne dirais pas que c’est simple. Il faut y consacrer du temps et, depuis sa mise en place, le nombre de responsables d’équipe a été réduit. Je n’ai pas besoin de vous expliquer qu’à deux, le temps consacré au soutien de l’équipe et la qualité de celui-ci sont moindres. Cela augmente la pression du travail pour tout le monde. En tant que dirigeant, on se trouve souvent entre le marteau et l’enclume. D’une part, il faut contribuer à la réalisation des objectifs de l’entreprise, et en être donc en partie responsable, et, d’autre part, il faut être à l’écoute et apporter un soutien suffisant aux collaborateurs supervisés. C’est passionnant, car de cette façon, on a un aperçu des deux facettes de la fonction. Mais ce n’est certainement pas le travail le plus facile ! »
Never Work Alone 2022 | Auteur: Vic Van Kerrebroeck | Image: Shutterstock