LES CADRES RESSENTENT AUSSI LA CRISE ENERGETIQUE

Fin février, Poutine envahissait l’Ukraine. La souffrance humaine qui en découle est incommensurable. Cela a aussi des répercussions non négligeables sur notre portemonnaie. Les prix de l’énergie s’envolent, le caddie est devenu sensiblement plus cher et l’inflation est au plus haut depuis plus de 40 ans. Heureusement, nos salaires sont automatiquement indexés. Pourtant, de nombreux travailleurs et leurs familles peinent à garder la tête hors de l’eau, même parmi ceux qui ont un bon salaire. Nous en discutons avec Valerie Scherpereel, cadre et déléguée chez Belfius Banque. « Il ne faut pas croire que les cadres travaillant dans un secteur rémunérateur n’ont jamais à souffrir d’une crise. »

Vous travaillez dans le secteur bancaire, où vous avez un contrat fixe avec indexation bimestrielle de votre salaire. Pourtant, vous teniez absolument à parler de ce thème.

Scherpereel : « C’est vrai, les collaborateurs de notre secteur sont plutôt bien rémunérés. Mais il faut éviter de généraliser. On aurait tort de penser que les cadres travaillant dans un secteur rémunérateur comme le nôtre n’ont jamais à souffrir d’une crise. Il y a chez nous tout autant de collègues en situation précaire. Il suffit de penser aux parents isolés. Ils ont un bon revenu de base, mais ressentent davantage les conséquences des hausses de prix que les familles recevant chaque mois deux fiches de paie. »

Avez-vous modifié vos habitudes de dépenses ?

Scherpereel : « Je vis seule avec deux enfants. Depuis septembre, ma fille aînée va à l’université, ce qui entraîne des coûts supplémentaires. C’est pourquoi nous réfléchissons beaucoup plus à nos achats hebdomadaires. Le shopping est devenu fonctionnel plutôt que récréatif. Quant à nos projets de vacances, nous allons aussi devoir les penser autrement. »

Essayez-vous aussi de faire des économies sur certaines choses ?

Scherpereel : « Nous travaillons dans un bon secteur, avec un bon salaire de base et de nombreux avantages extralégaux. Pourtant, nous aussi avons attendu un peu plus longtemps avant de rallumer le chauffage. Heureusement, j’habite une maison de rangée modeste. Elle est relativement neuve et bien isolée, de sorte que la facture mensuelle d’énergie n’est pas trop élevée pour l’instant. Les parents isolés qui vivent dans d’autres secteurs ont beaucoup plus de difficultés. Je tiens toutefois à souligner qu’il est trop facile de discuter du lissage des indexations salariales pour les hauts salaires, comme c’est aujourd’hui le cas chez AXA Assurances, car en faisant ce choix, on frappe durement certains groupes, même parmi les hauts salaires. »

Cette situation a-t-elle un impact sur vos enfants et votre entourage ?

Scherpereel : « Mes enfants font beaucoup plus attention à l’argent qu’auparavant. J’ai trouvé pour ma fille un kot abordable afin qu’elle puisse tout de même faire ses études à l’université dans de bonnes conditions. Elle m’en est très reconnaissante. Elle reçoit chaque semaine de l’argent de poche, qu’elle gère avec parcimonie. Elle a choisi de travailler le week-end pour prendre un bon départ dans la vie et assurer son indépendance financière ultérieure. Mon fils cadet pense que plus tard, il prendra sans doute un job étudiant lui aussi. »

Y a-t-il des personnes dans votre entourage qui sont préoccupées par la situation financière ?

Scherpereel : « Bien sûr. Il y a de très nombreuses personnes qui ont plus de difficultés, et qui ne peuvent même pas envisager de louer un kot pour leur enfant. De plus, tout le monde voit son budget amputé en grande partie par la hausse des coûts de l’énergie. »

Que pensez-vous de l’idée que l’indexation des salaires ne devrait plus être calculée en pourcentage, ou même être plafonnée au profit des personnes à bas salaires ?

Scherpereel : « Je suis sincèrement préoccupée par le maintien du pouvoir d’achat pour les bas salaires. À première vue, l’idée de ne plus calculer l’indexation des salaires en pourcentage, voire de la plafonner pour certaines personnes, semble logique. Mais il n’en est rien, car les collaborateurs à haut salaire peuvent aussi se trouver en situation précaire. On regarde souvent uniquement leurs revenus, et pas leurs dépenses. Les prix de l’énergie ne seront pas plafonnés, et les loyers continueront aussi d’être indexés chaque année. Si l’indexation est adaptée, les collaborateurs n’ayant qu’un seul revenu, même élevé, seront tout autant affectés. Toucher à l’indice n’est pas la bonne solution »

Entre-temps, les autorités ont pris plusieurs mesures d’aide. Qu’impliquent-elles pour vous ?

Scherpereel : « Les mesures d’aide, telles que le forfait de base pour l’électricité et le gaz, sont plus que bienvenues, même pour moi. Il y a toutefois des groupes dans notre société qui ont beaucoup plus besoin de mesures supplémentaires. Un plafond pour le prix du gaz et de l’électricité est vraiment crucial pour certains, tout comme l’ouverture du tarif social de l’énergie. Et pour déterminer qui y a droit, de grâce, évitons de regarder uniquement les revenus, mais tenons compte également de la situation familiale. »

Never Work Alone 2023 | Auteur: Vic Van Kerrebroeck| Foto: Daniël Rys – Shutterstock