Faire face à l’intelligence artificielle au travail
« Beaucoup de gens utilisent Chat GPT pour rédiger des textes. Logique, car c’est sa fonction qui est la plus mise en avant dans les médias. Mais rares sont ceux qui utilisent tout le potentiel de cette technologie. Il existe de nombreuses autres applications pour augmenter son efficacité ou stimuler sa créativité grâce à l’intelligence artificielle générative (GenAI). » C’est fort de cette conviction que Michael Bauwens, de l’UCLL Hogeschool, a créé la GPT Academy. Son but ? Aider les PME à employer le GenIA plus efficacement.
Comment l’IA peut-elle améliorer la productivité et l’efficacité des travailleurs du savoir ?
Bauwens : « Auparavant, l’IA était principalement capable d’automatiser des tâches simples et répétitives. Avec l’essor de l’IA générative, nous voyons que les tâches du savoir peuvent aussi être en partie automatisées. Il y a un côté positif, car cela permet une exécution plus efficace des tâches complexes. Mais il y a aussi un côté un peu inquiétant. Car ces tâches du savoir étaient en quelque sorte les dernières que les êtres humains étaient les seuls à pouvoir effectuer. Heureusement, lorsqu’on utilise beaucoup cette IA générative, on se rend compte que l’IA ne va pas nous remplacer si facilement. »
Quelles sont les idées reçues que vous entendez fréquemment à propos de l’IA générative ?
Bauwens : « Beaucoup de personnes assimilent trop cette technologie au cerveau humain. L’ironie est que l’IA nécessite justement une utilisation très humaine pour aboutir aux meilleurs résultats. Nous devons lui parler comme si nous parlions à une personne. Cependant, les grands modèles de langage, tels que le ChatGPT, ne sont en fait que des prédicteurs de mots très puissants. Une autre idée reçue est que des entreprises comme OpenAI inventent des choses complètement révolutionnaires qui n’existaient pas auparavant. C’est faux. Parfois, OpenAI lance une nouvelle fonctionnalité basée sur une technologie qui existait depuis des années, mais qui n’avait pas encore été présentée de cette manière. Ainsi, il est possible depuis longtemps d’explorer l’internet à l’aide d’un moteur de recherche sans utiliser de mots-clés mentionnant explicitement ce que l’on recherche. On peut par exemple depuis longtemps trouver des articles concernant le vélo sur Google sans devoir taper littéralement le mot « vélo ». Des mots-clés comme « circulation » ou « roues » permettent aussi d’obtenir ce type d’articles, car ces sujets sont similaires. Aujourd’hui, ChatGPT associe ce même travail de recherche aux données des utilisateurs, et les gens sont surpris. Alors que c’est en grande partie la même technologie présentée autrement. Cela fait des années que nous utilisons beaucoup l’IA dans nos outils, nos appareils et nos logiciels, mais nous n’en avons pas toujours conscience. Ce n’est d’ailleurs pas nécessaire. L’IA est mieux adoptée lorsqu’une application de l’IA n’est plus perçue comme telle. »
Qu’implique l’IA générative pour les entreprises et les travailleurs ?
Bauwens : « Il y a là un paradoxe intéressant. Ces outils allègent notre travail et augmentent notre productivité. Nous pouvons nous en réjouir, mais cela soulève aussi des questions : notre rémunération ne risque-t-elle pas d’être revue à la baisse si nous pouvons effectuer une partie de notre travail de façon semi-automatique ? Par exemple, l’entreprise de logiciels AFAS a récemment introduit la semaine de quatre jours, avec l’idée que l’IA l’aiderait à atteindre une production de cinq jours avec quatre jours de travail humain – tout en maintenant tous les salaires. Mais on peut aller encore plus loin :: que se passera-t-il si nous ne devons plus travailler parce que tout aura été automatisé ? Je ne pense pas que nous serons vite complètement remplacés par l’IA. Mais nous devrons gérer le travail différemment. Et les entreprises devront tenir compte de certaines directives. Dans notre étude sur l’utilisation raisonnable de l’IA générative dans les processus RH, nous avons examiné les possibilités d’automatiser certaines choses de manière à libérer plus de temps pour les tâches essentielles des RH. Autrement dit pour l’aspect « humain » des ressources humaines. C’est pourquoi nous parlons de « ressources humAInes ». En appliquant correctement la technologie, les entreprises peuvent gérer leurs travailleurs de façon plus humaine et plus personnalisée. »
« L’IA ne va pas nous remplacer si facilement »
Quels sont les principaux défis ?
Bauwens : « Il y a beaucoup à faire en matière de confidentialité. Une application comme ChatGPT envoie de très nombreuses données vers des serveurs américains, ce qui est loin d’être idéal en raison du RGPD et de la loi européenne sur l’intelligence artificielle. Les entreprises se demandent comment elles peuvent utiliser la technologie sans devoir divulguer leurs données à des entreprises américaines. La solution est de collaborer avec des entreprises locales et d’utiliser des applications open source. Mais cela nécessite un certain travail de recherche. Pour de nombreuses applications, on peut tout à fait utiliser Microsoft et Google, mais si la confidentialité est vraiment essentielle, la prudence est de mise. »
« Le deuxième défi consiste à choisir les outils adéquats. Il y a tant d’outils, de start-ups et de logiciels qui lancent de nouvelles fonctionnalités intelligentes fondées sur l’IA générative ! À tel point qu’il est impossible de tester tous ces outils, même pour nous. C’est pourquoi nous avons pour règle d’essayer de continuer à travailler avec les outils précédemment populairs, sauf si un outil très spécifique propose une solution ponctuelle très spécifique. »
Comment vous tenez-vous informé des dernières évolutions et possibilités pour votre travail ?
Bauwens : « Les dernières évolutions ne font pas toujours l’objet d’une communication destinée à l’utilisateur final. Bien souvent, les nouvelles tendances ou applications sont d’abord communiqués aux développeurs. Il y a évidemment toujours des entreprises ou des personnes qui informent les utilisateurs finaux, mais il faut distinguer les sources sérieuses des influenceurs tendance. Je fais davantage confiance aux informations lorsqu’elles proviennent de personnes travaillant pour une entreprise technologique plutôt que de start-ups de consultance en IA qui n’ont pas fait leurs preuves. Il faut aussi se méfier des campagnes agressives qui cherchent à nous vendre des instructions pour IA. »
« Avec la GPT Academy, nous présentons régulièrement les nouveautés des deux ou trois derniers mois lors d’une GenAI Update. Notez que nous sommes évidemment dignes de confiance, puisque nous faisons partie d’un centre de connaissances et que nous avons déjà un certain palmarès et crédibilité. » (rires)
Quel conseil auriez-vous pour les travailleurs du savoir qui voudraient parler de ce sujet avec leur employeur ?
Bauwens : « Ne cachez surtout pas l’utilisation que vous faites de l’IA générative à votre employeur. Si vous ne faites pas preuve de franchise concernant votre utilisation de la technologie, votre employeur ne pourra pas mettre en place une bonne politique. Votre employeur doit savoir ce qu’il se passe et quels gains d’efficacité sont possibles. Sinon, il y aura des angles morts dans la politique et vous ne serez pas soutenu en tant que travailleur. Il se peut que vous n’ayez pas tout à fait conscience de certains risques de confidentialité, ou que vous colliez toutes sortes de documents confidentiels dans ChatGPT sans le savoir. Si votre employeur ne sait pas que vous le faites, il ne pourra pas vous offrir un soutien et protection stratégique. »
Auteur: Jan Deceunynck | Image: Shutterstock