Tryangle passe à la semaine des 32 heures
« C’est un investissement dans le bonheur au travail de nos collaborateurs »
Il y a un an, on en parlait en rigolant. Mais six mois plus tard, après une longue réflexion et une concertation du personnel, la semaine des 32 heures est devenue une réalité au sein de l’entreprise de consulting Tryangle. Une semaine de travail réduite, avec le même salaire ! « Oui, nous faisons moins de bénéfice qu’auparavant, mais le bonheur au travail de nos collaborateurs est plus important », explique Griet Deca, directrice d’entreprise.
Lorsque nous l’avons rencontrée, Griet venait d’achever une semaine durant laquelle elle avait dispensé pas moins de huit conférences, et avait aussi pu profiter d’un jour de congé pour se détendre. « Avant, je dispensais le même nombre de conférences par semaine, mais ensuite, le vendredi après-midi, je prenais un Dafalgan et je m’allongeais dans le fauteuil », explique-t-elle en riant. « Maintenant je suis beaucoup moins fatiguée. Un jour de récupération par semaine fait réellement toute la différence. »
Quelle a été l’ampleur de la transition vers la semaine des 32 heures ?
Deca : « Au départ, cette transition paraissait très ambitieuse. Lorsque nous avons débuté le processus en décembre 2022, cela m’a semblé être une grande étape à franchir. Je me souviens avoir été très nerveuse lorsque nous en avons discuté pour la première fois avec l’équipe en avril. Mais, en fin de compte, cette transition ne s’est pas avérée si bouleversante. Nous avons rapidement repris nos activités en adoptant spontanément cette nouvelle méthode de travail. Le seul acteur à avoir exprimé un avis négatif est notre secrétariat social, qui s’est montré plutôt difficile. De plus, il ne nous a pas bien conseillés. En effet, les entreprises qui sautent ce pas ont droit à un soutien, mais il ne nous en a pas informés. Nous collaborons désormais avec un autre secrétariat social qui nous fournit le soutien nécessaire. Par ailleurs, notre entourage était préoccupé par cette transition et nous posait des questions alarmistes : ‘Vous voulez faire faillite ?!’ Et les clients craignaient que nous allions appliquer des tarifs plus élevés. Mais il n’en est rien. Nos tarifs n’ont pas changé. Et notre entreprise est toujours en pleine croissance. »
Cette question est bien sûr justifiée. Car réduire le temps de travail tout en maintenant les salaires implique un processus de production plus onéreux…
Deca : « C’est vrai. C’est pourquoi nous avons bien calculé cette transition. Et d’après nos calculs, nous pouvons supporter cet investissement. C’est d’ailleurs comme cela que nous le considérons, comme un investissement, plutôt que comme un coût supplémentaire. Nous investissons dans le bien-être et le bonheur au travail de nos collaborateurs. Se concentrer uniquement sur la croissance du bénéfice est une approche obsolète. La prospérité de notre société a fortement progressé au cours des dernières décennies. Bien sûr, la pauvreté est toujours présente, mais de nombreuses personnes sont plus prospères qu’auparavant. Le moment est venu d’investir dans le bonheur au travail. Car cet aspect aussi est important. Tel est le message que nos consultants transmettent à toutes les entreprises que nous conseillons. Il est donc tout à fait logique que nous suivions cette même ligne de conduite, en joignant le geste à la parole. Nous sommes convaincus que cette approche est la plus fructueuse, et apporte plus de tranquillité et un meilleur état d’esprit. Autant d’éléments essentiels pour une entreprise du savoir telle que la nôtre. Désormais, les idées fusent de toutes parts. Le repos supplémentaire apporte plus d’énergie et génère la créativité. D’ailleurs, l’une de nos collègues a indiqué qu’elle se voyait rester chez nous jusqu’à sa retraite. En ces temps de pénurie de talents, il est crucial que les travailleurs soient heureux au travail. »
Les candidats se bousculent très certainement au portillon, non ?
Deca : « Nous avons effectivement reçu de nombreuses candidatures spontanées. Mais les personnes qui veulent travailler pour nous uniquement pour profiter de la semaine de quatre jours ne sont pas à la bonne adresse. Ce n’est pas ce qui doit les motiver. Travailler dans notre entreprise demande un engagement total et la maturité nécessaire. Notre personnel travaille très dur. Chacun fait des efforts considérables avec enthousiasme, sans pour autant se porter préjudice. Notre collaboration exige une mentalité qu’il est difficile d’appréhender à l’aide de critères formels, mais qui devient rapidement évidente lors d’un entretien en face à face. »
Lors de la transition vers la semaine des 32 heures, avez-vous également adapté l’organisation du travail ?
Deca : « Tout à fait. Nous voulons absolument éviter que nos collaborateurs travaillent moins tout en étant soumis à une pression plus importante. Nous ne voulons pas que le stress au travail augmente. Nous avons donc demandé à nos collaborateurs ce dont ils avaient besoin pour que cette nouvelle méthode fonctionne. Sur la base de leurs réponses, nous avons recruté des collaborateurs supplémentaires pour les services des ventes et des projets. Nous avons également fait appel à une stagiaire. En outre, nous avons réduit le temps des réunions. Nous fixons désormais plus de rendez-vous, toutefois de plus courte durée. »
Votre modèle est-il applicable dans d’autres entreprises ?
Deca : « Nous ne nous targuons bien évidemment pas d’avoir adopté le seule et unique modèle qui fonctionne. Mais si notre exemple peut inspirer d’autres entreprises, tant mieux. Nous sommes convaincus qu’il peut être appliqué dans de nombreuses organisations. Peut-être plus dans des entreprises du savoir comme la nôtre que dans des entreprises de production traditionnelles où la chaîne de production donne la cadence. »
Vous êtes une petite entreprise. Ce modèle est-il aussi applicable dans de grandes entreprises ?
Deca : « Je ne pense pas que la taille soit un facteur déterminant à cet égard. Notre approche est tout à fait modulable, comme le démontrent des exemples similaires à l’étranger. Il est plus facile d’adapter le temps de travail de manière flexible dans les petites entreprises, mais il est plus difficile pour elles de compenser l’absence d’un travailleur, alors que les grandes entreprises occupant 100 travailleurs y parviennent plus facilement. Chaque entreprise a ses propres opportunités et défis. »
Never Work Alone 2024 | Auteur: Jan Deceunynck | Photo: Shutterstock