TRAVAILLER APRÈS L’ÂGE DE LA RETRAITE

Vous vous attendez probablement à lire un article sur des travailleurs qui attendent avec impatience la fin de leur carrière. C’est bien sûr le cas de certains, mais bien d’autres, de plus en plus nombreux, ne sont absolument pas prêts à prendre leur retraite à 65 ans. C’est le cas de Guy Fransen. Après une quarantaine d’années passées dans le journalisme, il appréhende l’arrivée du 1^er avril 2024.

Pendant son service militaire, il a commencé à réaliser des reportages sur sa ville natale de Berchem en tant que correspondant. Après avoir travaillé comme pigiste pendant plusieurs années, il a décroché un contrat en 1984 à De Nieuwe Gazet, l’ancien journal anversois, qui a ensuite fusionné avec Het Laatste Nieuws. Par la suite, il a occupé de nombreux postes, écrivant pour à peu près tous les journaux dont Het Laatste Nieuws, Gazet Van Antwerpen, Het Nieuwsblad, De Standaard. Il a couvert l’actualité régionale et politique ainsi que le sport, passant d’employé et directeur régional à rédacteur en chef et responsable des sports. Mais, l’année dernière, il a décidé de reculer d’un échelon au niveau hiérarchique.

Fransen : « À mes 63 ans, le rédacteur en chef m’a signalé que je devrais prendre ma retraite à 65 ans. Je lui ai répondu que je souhaitais travailler plus longtemps, mais cela ne s’inscrivait pas dans la philosophie de l’entreprise. Suite à cela, j’ai décidé de dire au revoir à mon poste de responsable des sports et de passer ces dernières années auprès de mes collègues journalistes « sur le terrain ». Depuis, je travaille sur des projets tels que Iedereen Flandrien (Tout le monde Flandrien), une initiative du journal visant à inciter les gens à faire du sport. J’y contribuerai jusqu’à mes 65 ans. »

Et après ?

Fransen : « Je ne sais pas encore. Il se pourrait que le journal me propose du travail en tant que pigiste. Je suis toujours impliqué dans des projets en cours. Mais il n’y a aucune certitude sur mon implication l’année prochaine. Je ne reçois que peu d’informations à ce sujet. Pour le reste, je suis ouvert à toute opportunité. Travailler comme pigiste, enseigner, donner des conseils en communication… Ces dernières années, j’ai donné des conseils au réseau d’associations où les pauvres prennent la parole, à Duo for a job… Je pourrais créer une agence, mais je préfère pouvoir aider ces organisations. Je pourrais peut-être aussi mettre à profit mon diplôme de réparateur de vélos que j’ai récemment obtenu. Toutes les options sont possibles. Mais de toute façon, je continuerai à travailler après avril 2024. Je ne suis pas encore prêt mentalement à prendre ma retraite. »

« Mick Jagger se déhanche toujours sur scène à 80 ans. Pourquoi devrais-je arrêter de travailler à 65 ans ? »

Vous pouvez également vous lancer dans le bénévolat.

Fransen : « On me le dit souvent. Mais je le fais déjà. Je fais du vélo tous les week-ends avec un garçon handicapé. C’est agréable et je continuerai à le faire. Mais j’aimerais aussi un véritable travail. Pourquoi cela pose-t-il un tel problème ? Pour l’instant, le journal continue de me solliciter pour de nouveaux projets. Je ne lève pas le pied. Mais à partir de l’année prochaine, je deviendrai soudainement trop vieux. C’est bizarre, non ? Je comprends que tout le monde ne soit pas du même avis. Je ne prends pas de haut les personnes qui souhaitent prendre une retraite anticipée. Je comprends parfaitement leur choix. Pour de nombreuses personnes, il est difficile de travailler jusqu’à l’âge de la retraite, voire même impossible. Ne demandez pas à un routier qui s’est levé à 5 heures du matin tout au long de sa carrière pour effectuer des tâches lourdes de travailler plus longtemps. Ces circonstances sont complètement différentes des miennes. J’ai la chance d’être en bonne santé et de travailler dans un secteur pour lequel je pourrais encore travailler un peu. Un secteur dans lequel on me demande toujours de m’impliquer dans de nouveaux projets. Mais à partir du 1^er avril 2024, je serai soudain trop vieux pour ça. Tout le monde parle de ‘travailler plus longtemps’, mais en pratique ce n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. Ce qui me dérange aussi fondamentalement, c’est que le gouvernement ne me permet pas de me constituer une pension complète. Pour cela, je dois avoir travaillé pendant 45 ans. Mais je n’atteindrai pas ce nombre si je dois prendre ma retraite à 65 ans. Je n’aurai alors travaillé que pendant 43 ans. »

Que pensez-vous de l’allongement de la durée du travail ?

Fransen : « Je ne pense pas qu’il faille nécessairement travailler moins longtemps. Mais nous devons être capables de moduler davantage. Tout au long de la carrière, il y a des moments où l’on a besoin de plus de temps pour se reposer. Nous sommes de plus en plus sollicités, le travail ne se relâche jamais. Nous travaillons presque en permanence. Ce n’est pas sain. Je remarque que les jeunes gèrent beaucoup mieux cette situation. Ils accordent plus d’importance à un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée pendant leur carrière. Lorsque nous avons commencé à travailler, le taux de chômage était très élevé et les gens étaient presque prêts à tout pour obtenir un contrat à durée indéterminée. Ces circonstances nous ont conditionnés. Nous faisions ce que notre employeur nous demandait de peur qu’on nous retire notre bouée de sauvetage. À l’heure actuelle, les jeunes continuent de travailler dur. Mais ils sont plus attentifs à un bon équilibre. Et ils ont raison. »

Comment réagit votre entourage à votre décision de continuer à travailler ?

Fransen : « Ils pensent que je suis fou. Ils me disent que je ferais mieux de profiter de la vie. C’est ce que je fais. Je ne travaille pas 24 heures sur 24. J’ai du temps à consacrer à d’autres choses. Mais j’aime aussi mon travail. Personne ne trouve cela étrange que Bruce Springsteen enflamme encore la plaine de Werchter à 73 ans ou que Mick Jagger se déhanche toujours sur scène à 80 ans. Ma question est donc la suivante : pourquoi ne puis-je pas continuer à travailler ? »

Never Work Alone 2023 | Auteur: Jan Deceunynck | Image: Patrick De Kuysscher